L’audition débute à onze heures dix.
La commission procède à l’audition de M. Gérard Glas, Président de Tata Steel France Rail SA.
M. le président Jean Grellier. Nous accueillons, ce matin, M. Gérard Glas qui dirige Tata Steel France Rail SA, une filiale du conglomérat industriel et commercial indien Tata, un « géant » qui emploie près de 450 000 salariés dans le monde. Je vous avais rencontré, Monsieur le président, en préparant mon avis sur le budget de l’industrie parce que le président de la commission des affaires économiques, François Brottes, m’avait demandé de porter une attention particulière à la sidérurgie.
Il s’agit, pour le groupe Tata, d’une activité centenaire, devenue plus importante encore depuis le rachat en 2007 du groupe Corus – dirigé à l’époque par Philippe Varin, qui est aujourd'hui à la tête de PSA –, issu lui-même de la fusion en 1999 entre British Steel et le néerlandais Hoogovens. Depuis, la présence européenne du groupe Tata s’est renforcée avec le rachat, en 2008, des constructeurs Jaguar et Land Rover, jusque-là propriété de Ford, illustrant ainsi la dimension prise par le processus de mondialisation.
Tata Steel possède une importante usine en France implantée sur les communes d’Hayange et de Nilvange, proche du site d’ArcelorMittal à Florange. Elle marche plutôt bien puisque le groupe Tata y a investi quelque 50 millions d’euros au cours des trois dernières années. Spécialisée dans le ferroviaire et la fabrication de rails, elle s’est lancée notamment la production de rails de 108 mètres de long, alors que les rails mesurent traditionnellement de 36 à 72 mètres
Le parcours professionnel de M. Glas retient tout spécialement notre attention. Il est un homme des métiers de la sidérurgie et joue aussi un rôle important au sein de la filière ferroviaire, notamment au sein de la Fédération des industries ferroviaires (la FIF), dont il dirige le groupement « Infrastructure ».
Sous la précédente législature, une commission d’enquête, présidée par Alain Bocquet, qui est aujourd'hui notre rapporteur, s’était consacrée aux industries ferroviaires. Nous avions alors particulièrement encouragé la structuration de cette filière qui reste un de nos points forts industriels. Vous aurez ainsi l’occasion de nous dire, Monsieur le président, si notre précédent travail allait dans la bonne direction et, évidemment, s’il vous parait possible de faire émerger une véritable filière européenne de la sidérurgie.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.
M. Gérard Glas prête serment.
M. Gérard Glas, Président directeur de Tata Steel France Rail SA. Je vous remercie de me recevoir ce matin. Je préfère vous dire tout de suite que je suis plus spécialisé dans le ferroviaire que dans la sidérurgie en général. J’ai commencé ma carrière chez Sacilor en 1974, plus précisément chez Davum, une entreprise qui transformait l’acier, et qui a disparu depuis. En 1981, j’ai rejoint une autre filiale de Sacilor spécialisée dans la production de rails. Par la suite, j’ai toujours évolué dans ce secteur si bien qu’il m’est plus facile de vous parler des métiers du ferroviaire que des autres métiers de l’acier comme l’automobile ou le packaging.
En tant que président du groupement « Infrastructure » de la Fédération des industries ferroviaires, je souligne qu’il est extrêmement important, pour pouvoir développer nos activités en France et à l’étranger, d’avoir une base de carnets de commande forte en France, générant un chiffre d’affaires suffisant. Nous avons besoin de visibilité, c’est-à-dire de contrats à moyen ou long terme conclus avec nos principaux clients, la SNCF et RFF. C’est d’ailleurs le cas jusqu’à présent puisque nous avons signé avec ces deux établissements publics un contrat de cinq ans. Un ancrage solide en France nous permet aussi d’être bien positionnés sur les lignes à grande vitesse et les transports urbains – renouvellement et entretien des métros, et construction de lignes de tramway en France. Ce constat vaut pour tous les métiers, pour des entreprises comme Vossloh Cogifer, Sateba, Stradal qui font partie du groupement. Toutes ont besoin d’une base française solide pour se développer en Europe et à la grande exportation.
Nous avons aujourd'hui l’occasion de travailler avec des clients importants comme Network Rail en Angleterre, la Deutsche Bahn en Allemagne ou Infrabel en Europe Belgique pour ne citer qu’eux. Pour le développement à l’exportation, il est aussi nécessaire d’avoir des grands partenaires (comme Alstom) qui ont une bonne connaissance des marchés mondiaux et qui peuvent nous associer à des projets d’envergure, comme la ligne à grande vitesse marocaine.
M. le président Jean Grellier. Que pouvez-vous nous dire de la dimension européenne de Tata Steel ? Comment la production d’acier est-elle organisée ? Comment vous positionnez-vous sur le marché européen ?
M. Gérard Glas. Nous évoluons sur un marché d’environ 1,5 millions de tonnes en Europe et de 11 millions de tonnes au niveau mondial. Ce marché comprend des pays que nous avons beaucoup de mal à atteindre, comme la Chine et la Russie, et qui sont de très gros producteurs locaux et donc très compétitifs. Notre site d’Hayange produit à hauteur d’un tiers environ pour le marché français, d’un bon tiers aussi pour le marché européen et du tiers restant pour la grande exportation.
Nous nous sommes spécialisés dans des produits de niche, de très haute qualité. Nous vendons 300 000 à 320 000 tonnes de rails d’acier par an à partir de notre site français. La production d’acier est réalisée à Scunthorpe, en Angleterre. Cet acier est convoyé toutes les nuits par trains de 1 000 tonnes à Hayange. Il est réchauffé et transformé en rails de 108 mètres, principalement à destination de nos clients français et européens. Un point important est la notion de juste à temps à destination des sites de nos clients ou de leurs ateliers de soudure. En effet, la longueur de rails et le transport vers les clients est un élément de différenciation et de compétitivité de notre offre commerciale. Économiquement, transporter de la grande longueur au-delà d’un rayon de 600 à 650 km devient extrêmement cher et pénalisant pour notre compétitivité. C’est la raison pour laquelle nous sommes moins présents en Europe de l’Est. Notre part du marché européen est de l’ordre de 30 % avec une concentration sur la partie Ouest du continent, exception faite de l’Italie et de l’Espagne où notre présence est extrêmement faible. Ceci s’explique par la présence de producteurs domestiques de rails, ces derniers bénéficiant d’une préférence et d’un support de leur Chemins de Fer Nationaux.
M. Alain Bocquet, rapporteur. Pourquoi acheminer quotidiennement de l’acier d’Angleterre, alors qu’on en produit en Lorraine ? Comment envisagez-vous l’avenir de la sidérurgie européenne dans le contexte d’un redéploiement du marché mondial et à la montée en puissance de la Chine, notamment, qui représente 635 millions de tonnes ? Comment les pays européens peuvent-ils jouer sur les complémentarités pour obvier à l’invasion de produits venant de Chine ou d’ailleurs ? Quels sont vos principaux concurrents en Europe ?
À quoi ressemble la pyramide des âges de vos effectifs ? Et comment leur formation est-elle assurée ? De quelle façon attirer les jeunes et surmonter leurs réticences à l’égard de l’industrie en général ?
M. Gérard Glas. Historiquement, l’usine d’Hayange située dans le fond de la vallée de la Fensch s’approvisionnait en blooms auprès de l’aciérie de Florange, située à quelques kilomètres. Vers la fin des années 90, Usinor-Sacilor a mis en place une stratégie de désengagement de sa filière produits longs afin de se recentrer sur les produits plats destinés aux marchés de l’automobile et de l’emballage. Si l’on remonte plus loin dans le temps, l’acier venait, non pas de Florange, mais d’Unimétal, à Gandrange, avant que l’usine ne soit transformée en aciérie électrique lors de la prise en mains par le Groupe Ispat, propriété de Monsieur Mittal. La filière fonte a donc été définitivement arrêtée à Gandrange et remplacée par une coulée continue à Florange. L’entreprise Sogerail, nom de Tata Steel France Rail à l’époque, s’est donc naturellement retrouvée dans le portefeuille des filiales de Sollac.
Lors de la vente de Sogerail à British Steel (devenue ensuite Corus) il avait été décidé que la fourniture des demi-produits par Sollac se poursuivrait sur une période n’excédant pas trois ou quatre années c’est-à-dire jusqu’en 2003/2004, ce laps de temps devant permettre à Corus d’investir et de modifier son installation de production d’acier basée sur le site de Scunthorpe en Angleterre. Ce site produit jusqu’à 4 millions de tonnes d’acier par an dont 700.000 tonnes de rails et de poutrelles dans le laminoir de produits finis.
Globalement, l’activité « rail » de Tata Steel résiste plutôt bien à la mondialisation et à la forte montée en puissance de la Chine. Cette situation s’explique notamment par un marché de proximité encore porteur et par l’intérêt pour les clients clés de bénéficier d’un producteur local. De plus Tata Steel France Rail se positionne sur des produits à forte valeur ajoutée. Les usines Chinoises ne rivalisent pas avec la qualité d’acier et ne répondent pas encore aux exigences des spécifications techniques européennes. Elles sont très occupées avec le marché intérieur chinois où la demande est actuellement très forte.
Comme je l’ai indiqué précédemment, Tata Steel France Rail reste compétitif dans un rayon de 650 kilomètres par rapport à la concurrence (Voestalpine, Lucchini et ou ArcelorMittal). Je souligne une nouvelle fois l’importance de la chaine logistique. À titre d’exemple, nos rails de 108 mètres sont acheminés, au départ d’Hayange, soit directement sur les chantiers (Lignes à grande vitesse ou autres), soit dans les deux ateliers de soudure de la SNCF où ils sont transformés en longs rails soudés pouvant atteindre une longueur totale de 432 mètres. Il est donc difficile pour la concurrence, de rivaliser sur nos marchés de proximité sans pratiquer une politique de volume, voire même de dumping.
M. Alain Bocquet, rapporteur. Par où le train passe-t-il ?
M. Gérard Glas. Par le tunnel sous la Manche.
M. Alain Bocquet, rapporteur. Ce n’est pas trop coûteux ?
M. Gérard Glas. Le coût est optimisé par les effets de massification et par la régularité des volumes et des flux. Nous travaillons avec DB Schenker, ex EWS, l’un des principaux opérateurs de transport ferroviaire en Angleterre.
En Europe, nous avons six concurrents principaux : ArcelorMittal est implanté à Gijón dans les Asturies. L’usine bénéficie d’une capacité de production équivalente à la nôtre, environ 300 000 tonnes – le marché national espagnol est atone en raison de la crise, ce qui pousse ce redoutable concurrent à l’international. ArcelorMittal possède également une usine à Katowice en Pologne qui fournit principalement les marchés d’Europe de l’Est. Cette usine livre peu en France mais elle est très présente en Allemagne par exemple. Lucchini est dans une situation financière très difficile, sa dette atteindrait 700 millions d’euros. Lucchini est soutenu par son client domestique, RFI (chemins de fer italiens), par le biais d’importantes commandes sur le moyen terme. Moravia Steel, une société tchèque, qui est aussi grande exportatrice, est peu présente en Europe de l’Ouest, essentiellement pour des raisons de coûts logistiques. Enfin, notre plus sérieux concurrent reste aujourd'hui, Voestalpine. Cette société possède une unité de production à Donawitz en Autriche, qui fabrique environ 500 000 tonnes de rails par an. Voest Alpine se positionne sur les mêmes segments de qualité, de produits et de marchés que Tata Steel France Rail. Le chiffre d’affaires de Voestalpine qui correspond à l’activité ferroviaire est beaucoup plus important que le nôtre en raison d’activités complémentaires comme la production d’appareils de voie et du fait de nombreuses filiales à l’étranger. Enfin Voestalpine possède une autre usine à Duisbourg (Allemagne) rachetée il y a quelques années à Thyssen. Cette usine doit fermer à la fin de l’année par manque de compétitivité.
Nous avons souffert il y a quelques années d’une pyramide des âges totalement déstructurée en raison de la mise en place des différents plans d’aide au départ au titre des conventions CGPS et CPS de la sidérurgie française dans les années 1990. Nous avons été amenés à renouveler près de 40% de nos effectifs et nous sommes fiers de dire aujourd’hui que nous employons beaucoup de jeunes. L’âge moyen de notre effectif se situe aujourd’hui autour de 40 ans.
M. Denis Jacquat. Votre approvisionnement en Angleterre résulte-t-il d’accords conclus lors du rachat de Corus par Tata Steel ? Je me demande vraiment comment de la fonte venue des Îles Britanniques peut, sur le terrain des coûts, concurrencer de la fonte produite à Florange.
Vous êtes connus pour la qualité des rails que vous produisez, puisque vous fournissez ceux du TGV. Mais, en France, où vous écoulez 30 % de votre production, le plan de construction risque de marquer le pas. Trouverez-vous à compenser le manque à gagner au niveau européen ?
Lucchini a-t-il vendu à Ascometal l’ancien site de la Société des aciers fins de l’Est
– SAFE – d’Hagondange ?
M. Gérard Glas. Oui, à votre première question. L’approvisionnement de l’acier en provenance de l’Angleterre faisait partie intégrante des accords de cession entre Sogerail et British Steel/Corus. La pérennité d’une activité comme celle de Tata Steel Rail France ne peut être assurée que si la filière de demi-produit nécessaire à la production des rails est totalement sécurisée. Ce fut le cas par le biais d’un contrat à long terme, avec un cout de production compétitif et une qualité haut de gamme, notamment concernant la santé interne de l’acier. La part acier dans le produit fini peut représenter jusqu’à 2/3 du coût de production total.
Sur le marché français avec RFF/SNCF, il y a d’une part les commandes liées à la maintenance et au renouvellement du réseau et, d’autre part, la création de voies nouvelles qui peuvent maintenant être construites pas des opérateurs privés tels que Vinci, Colas ou Eiffage (sous forme de PPP). Concernant la maintenance et le renouvellement, un bon niveau d’investissement annuel doit être assuré afin de garantir le bon état des voies et une prestation de transport de qualité. À titre d’information le taux de remplacement des rails en termes de maintenance et de renouvellement pour un réseau classique est de l’ordre de 3 %. Ce taux est nécessaire pour que le réseau puisse être maintenu dans des conditions normales d’utilisation. Si nous observons ce qui a été fait en Angleterre durant les années « Thatcher » le taux de remplacement était tombé à des niveaux tellement faibles qu’une dégradation et un vieillissement accéléré a été constaté. Il en a résulté des conséquences directes en termes de confort des passagers, de fiabilité d’horaires et de prestations. La conséquence la plus dramatique a été le déraillement d’un train en gare d’Hatfield près de Londres au début des années 2000 avec de nombreuses pertes humaines.
La situation n’est évidemment pas la même en France. Cependant, le niveau de renouvellement des voies que nous avons observé entre les années 2000 et 2005 aurait pu, s’il avait perduré, nous inquiéter tout autant. Fort heureusement, grâce au Rapport Rivier qui avait été commandité par l’Etat, RFF et la SNCF, un retour significatif des investissements a été préconisé afin de freiner le vieillissement du réseau. Nous sommes revenus sur des niveaux de l’ordre de 1000 km de voies remplacées pour un réseau totalisant 30.000 kms de voies circulées. Tout ceci met en évidence l’importance pour une entreprise comme Tata Steel Rail France d’avoir une bonne assise domestique même si le marché français ne représente qu’un tiers de son chiffre d’affaires. Les contrats à moyen terme sont tout aussi importants pour développer l’activité vers d’autres pays. Nous sommes aujourd’hui confiants avec un niveau de volume qui nous mène jusqu’en 2015/2016 grâce notamment au contrat avec la SNCF.
Comme indiqué précédemment, les projets nouveaux sont également essentiels pour la bonne santé de l’entreprise. La construction de la Ligne à Grande Vitesse entre Tours et Bordeaux, remportée face à ArcelorMittal et Voestalpine, et le projet de Ligne à Grande Vitesse entre Le Mans et Rennes avec le Groupe Eiffage, représenteront un total d’environ 150 000 tonnes, soit près de la moitié d’une année de production. Une fois de plus, la logistique a été un élément clé dans la décision de nos clients. Nous nous sommes engagés de livrer à Horizon 2016 des chantiers en flux tendus (environ 1 000 tonnes par semaine) sur les bases chantiers. Enfin j’aimerais signaler que nous sommes très attentifs à la décision de la SNCF quant à la fourniture de la prolongation de la nouvelle ligne « Est » entre Metz-Baudrecourt et Strasbourg, décision imminente laquelle, nous l’espérons, sera en notre faveur.
Au-delà de ces projets français, nous nous positionnons sur des marchés européens tels que l’Allemagne où nous fournissons l’intégralité des rails traités thermiquement (rail avec un acier à haute dureté pour résister aux efforts de fatigue dus au roulement et au contact des roues), la Belgique, la Suisse, la Hollande, et les pays du Nord de L’Europe, (Danemark, Finlande, Suède) où nous réalisons un bon tiers de notre production annuelle en Europe.
Quant à votre deuxième question, Ascometal n’a plus rien à voir avec Lucchini. Ascometal a été cédé il y a bientôt deux ans par Lucchini au fond de pension américain Apollo. La partie aciérie de l’ancienne SAFE appartient toujours à Ascometal. La partie forge avait déjà été cédée il y a plusieurs années à un groupement de forges.
M. Denis Jacquat. Les travaux de terrassement de la ligne Baudrecourt-Strasbourg sont très avancés, et l’ouverture est prévue dans moins de deux ans. Je suis très étonné que la soumission soit si tardive.
M. Gérard Glas. Effectivement dans un premier temps, nous avons pensé qu’il n’y aurait pas d’appel à la concurrence d’offres et que la SNCF, qui est en charge de la fourniture des biens d’équipement, ferait appel directement à notre contrat pluriannuel en cours. Ceci ne s’est malheureusement pas produit. Nous avons donc été mis en concurrence. Nous espérons que le prix remis retiendra l’attention de notre client malgré la concurrence agressive d’ ArcelorMittal et de Lucchini. Nos concurrents cherchent désespérément des volumes à produire pour remplir leurs carnets de commande. Ces derniers pratiquent une politique de volume à court terme, pour ne pas dire de vente à perte, afin de gagner des parts de marché. Leurs marchés intérieurs se dégradent fortement en raison de la crise.
M. Denis Jacquat. L’attitude de la SNCF est surprenante.
M. Alain Marty. Est-il possible de vendre à perte ?
M. Gérard Glas. Je pense que la politique de prix de ces concurrents s’établit sur une vision globale de l’année en termes de résultats. Il est fort probable que certaines pertes sur des affaires ciblées et stratégiques soient comblées par des positions plus confortables sur d’autres produits sidérurgiques et/ou d’autres marchés.
M. Michel Liebgott. Je me félicite de la longévité d’une usine, construite en 1895. Les élus locaux ont cru qu’elle allait disparaître et elle a finalement trouvé un repreneur. En outre, elle est exemplaire en termes de rapports sociaux, je le souligne. Les relations entre les syndicats et la direction sont excellentes et ont permis de transformer avantageusement la pyramide des âges. Le groupe investit intelligemment : un investissement de 12 millions va permettre un traitement thermique très particulier qui va rendre l’usine encore plus performante par rapport à ses concurrents.
Pourtant, les contraintes existent, logistiques notamment. L’usine est enclavée et elle est paradoxalement tributaire de son concurrent ArcelorMittal, dont les installations ont été bloquées – pour faire sortir les rails, ce qui est un défi en soi compte tenu de la taille et des volumes en question. Vous êtes performants puisque vous exportez jusqu’en Inde. Comment parvenez-vous à vendre à des pays aussi éloignés ?
Un projet, nommé Europort Lorraine, est en cours en coopération avec les chambres consulaires et les collectivités locales. Que peut-il vous apporter ?
La répartition de vos débouchés en trois tiers va sans doute évoluer à l’horizon des dix ou vingt ans qui viennent. Dans quel sens ?
Enfin, le consortium ULCOS – Ultra Low Carbon Dioxide Steelmaking – devait réunir quarante-huit partenaires. Or, de fait, ArcelorMittal se retrouve un peu seul avec l’État français pour porter le projet, auquel Tata Steel était associé, même s’il concernait davantage la fonte que le rail.
M. Gérard Glas. Nous nous sentons d’autant moins concernés que notre acier vient d’Angleterre. Il n’y a donc pas, ou très peu, d’impact d’émission de carbone sur le sol français.
Grâce à la SNCF, nous sommes à l’origine de l’allongement des rails qui sont passés de 36 mètres de long à 80 mètres en 1996. Nous avons ensuite été rattrapés et même dépassés par la concurrence, principalement par Voestalpine. Nous avons donc incité le groupe Tata à investir 35 millions d’euros en 2011, pour fabriquer des rails de 108 mètres. Cet investissement a pu être réalisé notamment grâce à la signature en 2008 d’un contrat de 4 ans plus deux années optionnelles avec RFF/SNCF, ce qui a permis de sécuriser en partie ce projet de modernisation de notre usine.
Un deuxième investissement significatif sera opérationnel cette année. Il s’agit de la construction d’une deuxième ligne de traitement thermique permettant la production d’environ 60 000 tonnes de rails qui viendra s’ajouter à celle existante et doubler la capacité totale de cette qualité d’acier à 120 000 tonnes.
La technique de durcissement des rails à travers un procédé de réchauffage par induction des rails et refroidissement contrôlé par air a été mise au point par nos ingénieurs vers la fin des années 1980. La qualité obtenue, et par là-même celle de nos produits, est reconnue parmi la meilleure au monde par comparaison aux concurrents Japonais ou Autrichiens.
Ces produits durcis sont destinés aux pays ayant des voies lourdement chargées et circulées, comme en Mauritanie, au Gabon en Afrique du Sud mais également en Inde le pays de notre actionnaire ou nous avons remporté les métros de Chennai et d’Hyderabad.
La nouvelle ligne de traitement sera d’avantage tournée vers les marchés européens grâce à la longueur de 108 mètres. Les rails seront destinés aux réseaux avec des courbes très serrées (régions montagneuses en Suisse par exemple) ou à des charges à l’essieu élevées (Suède ou tunnel sous la manche) Un volume de l’ordre de 50 000 tonnes est escompté pour ces destinations. Nous soumissionnons aussi pour de gros projets dans des pays ou les infrastructures ferroviaires sont en développement comme l’Arabie Saoudite, les Emirats et l’Inde. Dans ces pays, d’importants couloirs de fret ferroviaire sont en projet. Cela devrait nous donner de la visibilité pour positionner notre carnet au-delà de l’année 2015.
Effectivement nous avons subis des perturbations durant 2 à 3 semaines à cause des grèves et des mouvements sociaux perlés survenus l’année passée sur le site de notre concurrent ArcelorMittal à Florange. Ces perturbations ont même entrainé des périodes d’arrêt puisque nous utilisons le réseau privé ferroviaire d’ArcelorMittal pour acheminer tous nos rails par train. Il en fut de même pour l’acheminement de notre acier en provenance d’Angleterre qui emprunte aussi le réseau privé d’Arcelor. L’usine d’Hayange travaille en flux tendu sans possibilité de stockage tampon. Nous sommes donc très dépendants du réseau privé d’ArcelorMittal. Nous étudions actuellement un projet d’accès direct aux voies de la SNCF par la Gare d’Hayange mais la topographie du terrain présente un problème d’accès.
M. Michel Liebgott. La direction a fait preuve d’une implication totale pour réaliser une usine « hyper performante », alors que le pari n’était pas gagné d’avance. Je me félicite de la parfaite coopération qui s’est établie avec le gouvernement français et la direction de la SNCF. À un moment donné, on a cru que Corus, parce qu’il supprimait des emplois, était à deux doigts de poursuivre la production des rails à Scunthorpe. Et je pense que c’est finalement grâce à son excellence, que cette usine a pu être sauvée. Puisse la situation perdurer.
M. Gérard Glas. Le groupe Tata a compris qu’il existe un marché de niche pour le rail. Je rappelle que le volume total d’activité du groupe Tata est de l’ordre de 18 à 20 millions de tonnes en Europe. La production de rails sur les deux sites du Groupe Tata est d’environ 550 000 tonnes. Tata Steel Rail France, avec un positionnement stratégique sur ses marchés de proximité dans le domaine du ferroviaire et un savoir-faire propre à l’usine d’Hayange a toute sa place dans la stratégie du Groupe Tata Steel.
M. Christian Hutin. Vous avez, monsieur le président, expliqué les raisons de votre succès : le coût, la qualité. L’hinterland de 650 kilomètres de rayon, dont vous avez parlé, est-il figé ou susceptible d’évoluer ? Comment l’Italie et l’Espagne arrivent-elles, dans cette Europe de libre concurrence, à protéger leurs marchés, alors que la France y parvient difficilement ? Quel a été l’impact de la libéralisation du rail européen sur votre activité ? Avez-vous dû diversifier vos clients ?
M. Gérard Glas. Les cas de l’Espagne et de l’Italie sont à la fois intéressants et particuliers. Pour des raisons de restrictions budgétaires qui touchent les Chemins de Fer pour l’entretien de leur réseau ferré, il n’est pas rare de voir les producteurs domestiques de rails de ces pays bénéficier d’un soutien sans faille de la part de leur client national. Il nous est donc extrêmement difficile de gagner des affaires dans ces pays. Nous avons été déclarés moins disant sur certains appels d’offres. La préférence nationale pour soutenir la production du producteur local est apparue clairement puisque l’affaire a finalement été placée à Lucchini.
Nous aimerions, nous aussi, bénéficier du même genre de soutien dans le domaine du ferroviaire ou dans celui des transports urbains. Les villes et les ingénieries sont totalement impliquées dans la définition des spécifications techniques et dans le choix des prestataires, ce qui devrait être un atout. Les financements publics français devraient revenir en priorité à des sociétés françaises compétitives pour leur permettre d’être placées sur ces projets nationaux qui sont essentiels pour l’activité et la pérennité. Il est effectivement difficilement compréhensible de voir nos concurrents directs pratiquer des prix de dumping sur notre territoire tout en étant protégés sur leur marché. Nous constatons régulièrement que l’ouverture européenne et la réciprocité est inscrite dans les livres mais qu’elle ne se traduit pas toujours dans les actes.
M. le président Jean Grellier. Comment êtes-vous intégré au niveau des filières stratégiques de la Conférence nationale de l’industrie ? La filière ferroviaire, notamment, a fait l’objet de contractualisation. Êtes-vous concerné, en tant que société ?
M. Gérard Glas. Nous sommes impliqués à travers la FIF, et ses différentes commissions. Nous avons fait partie des travaux du comité stratégique de filière.
M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions de votre disponibilité, monsieur le directeur. Et bonne chance à votre entreprise.
L’audition s’achève à onze heures cinquante-cinq.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement
Réunion du mercredi 3 avril 2013 à 11 heures
Présents. - M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Gaby Charroux, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Christian Hutin, M. Denis Jacquat, M. Michel Liebgott, M. Alain Marty
Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard